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Nadia ANDRE

Nadia ANDRE

Melinda VOLTZ

Melinda VOLTZ

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ARTICLES DE DROIT : Prêt de main d'oeuvre illicite / Délit de marchandage ou comment ne pas commetre ces délits


 


Mais qu’est-ce que c’est ?

1987 : Un grand mouvement de surprise saisit les patrons de sociétés de services réunis au SYNTEC lorsqu’il leur est annoncé, avec gravité, que l’un de leur confrère vient d’être condamné pour délit de marchandage.

La plupart d’entre eux n’ont jamais entendu ce terme !

La mise à disposition de personnel d’une société, au profit d’un utilisateur final avec marge est interdite, et constitue le prêt de personnel à but lucratif, qui est illicite.

Si cette mise à disposition a pour effet de causer un préjudice au salarié, elle se transforme en un délit plus grave, le marchandage.

Et, à ce moment-là, la profession découvre que les prestations qu’elle réalise au profit de ses clients, lorsqu’elles sont réalisées chez le client, facturées en « régie » (c’est-à-dire strictement au temps passé), avec bénéfice, l’expose à de multiples risques…

La mise à disposition de personnel consiste à détacher un salarié d’une société X dans les locaux d’une société Y, au sein desquels il exécutera ses fonctions, en recevant ses instructions de travail du client final, avec les outils dudit client.

C’est-à-dire que le salarié est simplement « prêté » au client final.
Les opérations de prêt de main-d’œuvre à but non lucratif sont autorisées (sous conditions).
La mise à disposition de personnel est à but lucratif dès lors que l’employeur du salarié détaché facture la prestation réalisée par ce salarié à un prix outrepassant le strict coût de son salaire augmenté des cotisations sociales.

Le prêt de main-d’œuvre se transforme en délit de marchandage lorsqu’il a pour effet de créer un préjudice au salarié ou d'éluder l'application de dispositions légales ou conventions collectives.

Le préjudice peut être un préjudice d’ordre financier : les salaires versés aux salariés mis à disposition sont inférieurs à ceux des employés du client final pour un même travail.

Il peut s’agir d’une perte d’avantages, ex : le client final accorde à ses salariés des avantages sociaux plus importants (indemnités de déplacement, tickets restaurants, prêt à taux préférentiel (Banque), comité d’entreprise, droit à la participation, formations, convention collective ou mutuelle plus favorable …).

Constats

En matière informatique, la pénurie de compétences a créé un marché, auquel répondent les sociétés de service, mais certaines d’entre elles considèrent que leur métier consiste à identifier les ressources, puis à « placer » celles-ci en fonction des besoins des clients, et enfin à émettre leur facturation mensuelle.

Certains clients pensent que le recours à un prestataire leur permet d’échapper à certaines contraintes du droit du travail : vis-à-vis d’un prestataire, ils se permettent des exigences supérieures à ce qu’ils peuvent obtenir de leur salariés, ils peuvent adapter leurs équipes à leurs besoins, sans gérer ni embauches ni licenciements, ils négocient un prix de journée, et évitent les coûts annexes (avantages sociaux, primes prévues par leurs propres conventions collectives et absentes du SYNTEC, participation, absences, etc…)

Souvent, les clients, par méfiance, exigent que le nom du salarié mis à disposition figure sur le contrat, et vont même jusqu’à annexer au contrat de prestation une grille de tarif qui applique un coefficient multiplicateur à la rémunération de l’intervenant (ce qui est réservé aux sociétés d’intérim).

Il a fallu plusieurs années, et surtout condamnations, pour que les clients finaux comprennent qu’en cas de prêt de main d’œuvre illicite, ou délit de marchandage, ils étaient co-auteurs et donc condamnés solidairement avec leurs prestataires.

Depuis, ce sont souvent les acheteurs des clients finaux qui cherchent à protéger leur société contre ce délit, parfois en insérant des dispositions incohérentes dans leurs contrats.

Comment démarrent les contentieux ?

Il y a quelques années, la source la plus fréquente était l’interpellation de syndicats : dans la logique de protection de leurs emplois, les syndicats de la société cliente venaient se plaindre du fait qu’il était anormal de procéder à des licenciements alors que la société faisait appel à des prestataires de services externes qui « volaient les emplois de l’entreprise ».

Comment éviter le risque ?

Le contrat de prestation de service

L’infraction est caractérisée lorsque le contrat unissant la société de service et le client final a « pour objet exclusif » la mise à disposition de personnel.

Cette condition n’est pas remplie lorsque le contrat est un contrat de prestation de service, dont la mise à disposition de personnel n’est pas la finalité et l'entreprise prestataire facturera non pas les seuls salaires des prestataires, mais une prestation dans son ensemble qui inclut, entre autre, les salaires et charges attachées au salarié en question, qui n’est qu’un élément du prix de la prestation.

C’est le cas lorsque l’objet du contrat est véritablement la réalisation d’une prestation complète, dont la mise à disposition de personnel n’est qu’un moyen.

Mais comme il existe des petits malins, les juges ont le pouvoir de rechercher la véritable nature du contrat, et de faire échec à la fausse sous-traitance.

Le contrat de prestation (ou contrat d’entreprise) supposant l’indépendance du sous-traitant, la vérification portera sur les conditions réelles d’exécution de la prestation.

Cependant, dans tous les cas, la rédaction d’un contrat précis quant à l’objet, les conditions financières et les modalités d’exécution en toute indépendance de la prestation, et qui est respecté, est un bon outil de protection contre la commission du délit.

Il est fortement recommandé de s’assurer que les annexes d’un contrat ne contredisent pas le contrat lui-même, et résister aux pressions du client final qui veut imposer son contrat type si celui-ci n’est pas correct (rémunération, identification nominative de l’intervenant.

Aujourd’hui, de plus en plus, les demandes émanent de salariés des sociétés de service, surtout ceux restés longtemps en prestation chez le même client :

- Qui constatent qu’il y a des différences entre les conditions d’emploi des salariés de la société cliente et les leurs.

- Qui considèrent avoir été lésés en n’étant pas recruté par le client final ou redoutent de perdre leur emploi à la fin de la mission

L’inspection du travail a également le pouvoir de constater l’infraction, lors d’un de ses contrôles, et de saisir le Procureur de la République.

Le mode de rémunération

Lorsque la rémunération est calculée non pas en fonction de l’exécution d’une tâche précise, nettement définie, mais uniquement sur la base des heures ou jours de travail accomplis, les tribunaux considèrent que le contrat dissimule un prêt de main d’œuvre, car seule cette fourniture de main d’œuvre est rémunérée.

D’une manière générale, on peut dire qu’une rémunération forfaitaire de la prestation est le moyen le plus radical d’évacuer le risque.

Mais cela n’est pas toujours facile, en particulier dans les missions d’assistance technique.

La spécificité ou savoir-faire de l’entreprise prestataire

Lorsque la prestation consiste dans la mise en œuvre d’un savoir spécifique à l’entreprise utilisatrice, dont ne dispose pas le client final, le prêt de main d’œuvre n’est que la conséquence nécessaire de la transmission du savoir-faire, il n’est pas illicite.

Il a ainsi été jugé que le contrat qui stipule une prestation globale de service dans le domaine informatique par un personnel qualifié dont l’expertise n’existait pas chez le client final n’est pas illicite.

Concrètement : pas un développeur JAVA confirmé noyé au milieu d’une équipe de développeurs de même niveau, que le client final aurait pu former à JAVA.

Le fait que l’activité visée ne fait pas partie du « core business » du client et qu’il s’agit d’un besoin particulier ainsi que la valeur ajoutée de la prestation réalisée par la société de service sont de bonnes précautions, et méritent d’être exprimées au contrat.

En revanche, pour une ESN, accepter, parce que le client insiste, de lui « fournir un comptable ou une assistante de gestion » est prendre un risque inutile.

La fourniture de moyens ou du matériel

En principe, la société prestataire doit fournir à ses propres salariés les moyens et/ou matériels leur permettant de réaliser sa propre prestation.

Il est sûr que cela n’est pas forcément évident, dans votre métier.

Mais il est sans doute possible d’identifier quelques outils métiers (licence d’utilisation d’un logiciel de CAO ?) qui pourraient être fournis…

Sans aller jusqu’à la paranoïa d’une société client final qui a imaginé d’isoler ses prestataires dans un algeco situé sur le parking, le fait d’éviter que vos salariés soient identifiés par un badge de la société cliente, disposent d’une adresse mail propre au client final, soient présents sur le trombinoscope client n’est pas un luxe inutile.

Le client final peut fournir le matériel nécessaire lorsqu'il est possible de le justifier par des raisons de sécurité, de confidentialité ou de technicité, et là encore, le mentionner au contrat est recommandé.

Les prérogatives d’employeur

L’employeur se reconnaît à ses prérogatives :

« Le lien de subordination juridique existe dès lors que le travail est exécuté ou organisé sous l’autorité d’une personne qui a pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de celui le réalise ». (Cass. soc. 13 novembre 1996 n° 93-13.387 ; Cass. Soc 15 mars 2006 n° 04-45518).

S’il abandonne ses prérogatives au profit du client final, il n’exécute pas ses obligations d’employeur et peut être retenu contre lui le faisceau d’indices suivant :

- « les salariés détachés se trouvent placés sous l’autorité directe du personnel d’encadrement de l’entreprise utilisatrice et qu’ils sont soumis à la discipline de cette entreprise » (Cass. Crim. 5 janvier 1993 n°92-82.853) ;

- « les salariés détachés se trouvent sous l’autorité technique des cadres de la société utilisatrice » (Cass.Crim.26 janvier 1993, n°91-81.653) ;

- « le planning de travail des salariés était géré et contrôlé par la hiérarchie de la société utilisatrice, le contenu des tâches ne transitait pas par l’employeur (Cass.Crim. 9 novembre 2010 n°09-88.759) ;

- « La société utilisatrice définissait le descriptif des tâches à exécuter » (Cass. Crim 15 juin 1984, Bull Crim 1984 n°229) ;

- « les salariés en cause étaient intégrés dans les équipes des sociétés utilisatrices » (Cass. Crim. 25 avril 1989 n°88-84222).

- « N’étant ni présente ni représentée sur le chantier, la société prêteuse n’avait aucun pouvoir de contrôle et de direction sur le salarié qu’elle avait embauché » (Cass. Soc, 17 juin 2005 n°03-13707).
Véritablement, sur ce critère, l’encadrement de la société prestataire, qui se doit d’assurer les fonctions élémentaires de management de ses équipes, est fondamental.

Oublier un salarié entre les mains du client est une démission du rôle d’employeur, et prouve la commission du délit.

Suivre de manière attentive la carrière du personnel, surtout lorsqu’il est affecté sur des missions de longue durée, le rencontrer périodiquement, fixer ses congés, décider des primes, augmentations, infliger les sanctions, élaborer et suivre le plan de formation des salariés n’est pas seulement un moyen d’éviter le risque d’infraction, c’est aussi créer et entretenir le sentiment d’appartenance, qui ne peut que profiter à la société prestataire.

La durée de la mission

Le record que j’ai pu constater est le cas d’une salariée restée 32 ans de suite en mission chez le même client !

Entrée en tant qu’analyste programmeur, elle se retrouvait chef de projet en fin de carrière.

Subitement, le client final s’aperçoit qu’il remplit tous les critères du délit de marchandage (pas la société prestataire, qui facture tranquillement et ne doit même plus savoir à quoi ressemble cette dame) et décide d’arrêter là le contrat.

La salariée panique, craint de se voir licencier, revendique du client final qu’il l’embauche et reprenne son ancienneté.

Suite à son refus, elle attaque les deux entreprises, qui ont fini par transiger.

C’est souvent le cas, lorsqu’il s’agit d’une procédure individuelle, mais c’est cher !

Il n’y a pas de règle sur la durée de la mission.

Je constate que les services achats vigilants, notamment les banques, s’affolent au bout de 3 ans.

En tout cas, retenez que les missions dépassant une année continue méritent une attention plus poussée : relire le contrat, vérifier son exécution.

CONCLUSION

Cela fait environ 30 ans que je milite auprès de tous les Ministres successifs du travail afin que ces infractions, dont la définition fait l’impasse sur des réalités et besoins économiques avérés, soient adaptées.

Aujourd’hui, les sociétés de portage salarial sont expressément exclues du champ de l’infraction (et celles de mannequinat aussi !).

D’autres cas de prêts de main d’œuvre sont désormais autorisés, mais très encadrés, et jamais à but lucratif.

Aucun de mes clients ESN n’a subi de condamnation pénale, et tous mes dossiers civils ont été transigés.

Donc, en attendant que la loi change, le meilleur conseil que je puisse donner est de veiller :

1. à la qualité de vos prestations, et salariés, afin de rendre et vendre un vrai service à valeur ajoutée,
2. à offrir un encadrement d’excellence à vos salariés en mission,
3. à la rédaction de vos contrats.